Avec les caméras CCD monochromes, la meilleure technique d’imagerie, dans un ciel de pollution lumineuse important, s’effectue avec l’utilisation de filtres à bandes étroites (en anglais narrowband), aussi désignés filtres interférentiels. Cette technique s’utilise uniquement pour les nébuleuses à émission et les nébuleuses planétaires. En effet, dans la majorité des cas, la luminance de celles-ci se trouve à l’extérieur de la lumière émise par l’éclairage des villes. En utilisant les filtres interférenciels, on capte uniquement la luminance des nébuleuses tout en bloquant efficacement celle provenant de la pollution lumineuse. On ne peut pas utiliser ces filtres pour la photographie des amas d’étoiles et des galaxies, car la majorité de la luminance de ces objets est à l’extérieur de la bande passante étroite de chacun de ces filtres. Pour les prétraitement et traitement des images acquises avec ces filtres, on utilise les techniques décrites dans ce site, en particulier la technique LRVB. Lire cette section si vous n’êtes pas familier avec cette technique (LRVB). Il sera alors plus facile de comprendre l’exposé qui va suivre.
Avec les caméras CCD monochrome, on utilise trois filtres à bandes étroites ; Ha (raie d’hydrogène alpha dans le rouge), OIII (raie d’oxygène dans le vert-bleu) et SII (raie de soufre dans le rouge foncé). Il y a différentes associations possibles pour ces filtres. Je vais en présenter quelques-unes. Avant de les utiliser, il faut connaître la raie d’émission de la nébuleuse qu’on veut photographier. On fera alors correspondre son rayonnement avec la bande passante d’un de ces filtres ou l’association de deux ou l’ensemble des trois filtres. On exprime cette bande passante en nanomètre (nm) sur une échelle de longueurs d’onde (Wavelenght en anglais). Voici donc la bande passante de chacun des trois filtres :
- Ha : 656,3 nm (rouge)
- OIII : 500,7 nm (bleu-vert)
- SII : 672,4 nm (rouge foncé)
Ces filtres ont pour fonction de capter le plus près possible ces raies d’émission. En général, la bande passante étroite est de l’ordre de 7 ou 5 nm (il est à noter qu’il existe d’autres largeurs de bandes passantes dans le commerce, par exemple 8 nm, 3 nm). Voici la représentation graphique de tout cet énoncé :
Le graphique présente les raies de transmission typique de différents filtres
L’échelle verticale représente le pourcentage de transmission des différents filtres. L’échelle horizontale représente la bande passante des différents filtres exprimée en nanomètre. La bande passante des filtres standards Rouge, Vert et Bleu est représentée dans les couleurs pâles de ces filtres sur le graphique. La bande passante des filtres à bandes étroites est représentée dans les couleurs plus foncées. On constate que les filtres standard RVB couvrent au complet le spectre lumineux visible par l’oeil humain le jour (la nuit, la vision humaine ne permet pas de voir les couleurs, car elle est limitée aux longueurs d’onde voisine de 555 nm). Les filtres à bandes étroites couvrent une infime partie du spectre lumineux dans sa raie de transmission. Dans les spécifications des filtres, la bande passante est évaluée à 50% de la transmission de ces filtres. Par exemple, si la bande passante du filtre est de 7 nm, cela signifie que la bande passante du filtre à 50% de la transmission est de 7 nm (+/- 3,5 nm du centre de la raie d’émission). On constate aussi que la bande passante des filtres RVB est d’environ 100 nm, comparé aux filtres à bandes étroites qui sont de 7 ou 5 nm.
Avec l’utilisation des filtres à bandes étroites, il est recommandé d’utiliser une ouverture focale plus fermée, f/4 et plus, c.-à-d. f/5, f/6… Si on utilise une focale plus ouverte, inférieure à f/4, c.-à-d. f/3, f/2…, il y aura un déplacement de la raie de transmission des filtres à bandes étroites, les rendant moins efficace. Plus la focale sera ouverte, plus le déplacement sera important. Donc, si vous avez l’intention d’utiliser ces filtres avec une focale ouverte, préférez l’achat des filtres avec une bande passante de 10 nm et plus.
Voici la présentation de différentes associations des filtres :
La palette Hubble
La photographie en bandes étroites a été élaborée au début pour des besoins scientifiques. Les premières utilisations ont été conçues pour le télescope Hubble. L’association des filtres a servi à faire ressortir dans les images la répartition chimique des principaux éléments de la nébuleuse. L’association est la suivante ; SII pour la couche rouge, Ha pour la couche verte et OIII pour la couche bleue. Le filtre Ha étant la couche la plus dynamique, le vert dominera dans l’image. La couche rouge (SII) et la couche bleue (OIII) serviront à donner du relief à la photo en dévoilant les régions de la nébuleuse riches en soufre et en oxygène. On désigne maintenant cette association de filtres par la palette Hubble. L’image produite sera donc en fausses couleurs. Voici un exemple d’image couleur produite en utilisant la palette Hubble :
IC434 – La tête de cheval – Ha-(SII-Ha-OIII) – Le vert domine
Pour convertir cette dominante verte en couleurs cuivrées, typique de la palette Hubble sur plusieurs images produites par les amateurs de cette association SII-Ha-OIII, j’utilise personnellement la correction sélective des couleurs du logiciel Photoshop. Voici un exemple d’image présentant cette conversion :
NGC2237 – La Rosette – Ha-(SII-Ha-OIII) en appliquant une correction sélective des couleurs.
Cliquer sur l’image pour l’afficher pleine grandeur.
Cette image a été prise à mon observatoire personnel situé à Longueuil, Québec, Canada, dans un site de pollution lumineuse extrême (zone blanche).
On peut apprécier sur cette image la grande variété des couleurs, contribuant ainsi à faire ressortir encore plus les nuances de la nébuleuse. La conversion de la dominante verte (couche Ha) en couleur cuivrée offre une image plus agréable à regarder.
Utilisation des filtres interférenciels pour produire des images en couleur plus réalistes
L’association Ha-(Ha-OIII-OIII)
Pour produire des images en couleur plus réalistes, nous allons utiliser l’association suivante :
- Couche rouge : Ha
- Couche verte : OIII
- Couche bleue : OIII
Le filtre Ha (656,3 nm) étant dans le rouge, on l’associe à la couche rouge. Le filtre OIII (500,7 nm) qui est entre le vert et le bleu, on l’associe aux couches verte et bleue. J’utilise cette palette pour les nébuleuses à dominante rouge. La majeure partie du signal sera révélée par le filtre Ha. Les images prises avec le filtre OIII serviront surtout à présenter les étoiles avec des couleurs plus réalistes. Comme la nébuleuse est de dominante rouge, j’utilise l’image prise avec le filtre Ha comme image de Luminance. Voici un exemple d’image prise avec cette association :
NGC6820 – Ha-(Ha-OIII-OIII) – Cliquer sur l’image pour l’afficher pleine grandeur
Cette image a été prise à mon observatoire personnel situé à Longueuil, Québec, Canada, dans un site de pollution lumineuse extrême (zone blanche). Après examen de l’image prise avec le filtre OIII, aucun signal de la nébuleuse n’apparaissait dans l’image. La luminance de la nébuleuse était donc entièrement dans l’hydrogène (filtre Ha). J’aurais alors pu utiliser l’association suivante : Ha-(HaR)VB (l’image de luminance en Ha et l’image couleur avec les filtres standard RVB en associant l’image Ha avec l’image Rouge dans la couche Rouge pour aller chercher la couleur de la nébuleuse en même temps que la composante rouge des étoiles). J’aurais ainsi obtenu des étoiles avec des couleurs encore plus réalistes. Mais il est difficile de savoir à l’avance que la nébuleuse n’émet aucun signal dans l’oxygène (OIII).
L’association (Ha-OIII)-(Ha-OIII-OIII)
Une variante de l’association précédente est l’utilisation des images Ha et OIII comme image de luminance. Lorsque la nébuleuse émet beaucoup de signaux dans l’hydrogène (Ha) et l’oxygène (OIII), l’utilisation d’une image de luminance avec les images Ha et OIII fera ressortir tous les détails de ces deux raies d’émission. Voici un exemple :
NGC6960 – La nébuleuse du balaie de sorcière – (Ha-OIII)-(Ha-OIII-OIII) – Cliquer sur l’image pour l’afficher pleine grandeur
On peut effectuer d’autres associations de filtres, par exemple Ha-SII-OIII ou Ha-OIII-SII. On favorisera ces associations lorsqu’il y a beaucoup de soufre (SII) dans l’image. Il est à noter que les couleurs des images apparaîtront moins réalistes que l’association Ha-OIII-OIII.
Le temps d’exposition recommandé pour chaque filtre
L’imagerie avec des filtres à bandes étroites demande de longs temps d’exposition pour obtenir un rapport Signal/Bruit suffisant. En effet, bien que chaque filtre laisse passé plus de 95% du signal dans sa raie de transmission, il faut que ce dernier passe au travers du filtre. Je recommande d’utiliser le mode Bin 2×2 pour produire ces images, ce qui permettra d’obtenir quatre fois plus de signal pour un même temps d’exposition que le Bin 1×1. Un temps d’exposition par photo de 5 minutes (à f/6) en Bin 2×2 est considéré comme un minimum. Voici les temps d’exposition que j’utilise pour chaque filtre à la focale f/6 (et f/6,3) en Bin 2×2 ; 10 images de 10 minutes (1,67 heure par filtre, équivalent à 6,68 heures en Bin 1×1). Si on utilise 2 filtres, le temps d’exposition total sera plus de 3,33 heures (13,32 heures en Bin 1×1) et avec les 3 filtres plus de 5 heures (20 heures en Bin 1×1). Il faudra peut être envisager d’imager plus d’une nuit.
Pour connaître l’équivalence du temps d’exposition pour d’autres focales, allez au chapitre Calculs astronomiques à la section L’ouverture focale et le temps d’exposition.
Richard Beauregard
Le Ciel Astro – CCD
Réviser le 2021/03/17