Pour la photographie du ciel profond qui demande un long temps d’exposition, la plupart du temps plus d’une heure, le changement de température lors de la session d’imagerie affecte la mise au foyer. Pour expliquer ce phénomène et le contrôler, nous allons utiliser deux formules mathématiques :
- La dilatation ou contraction du tube optique lors d’un changement de température
- La tolérance de mise au point (MAP)
1- La dilatation ou contraction du tube optique lors d’un changement de température
À chaque 1000 mm de longueur physique du tube optique en aluminium, une variation de 1o Celsius équivaut à la dilatation (ou contraction si la variation est -1o Celsius) du tube de 0,023 mm.
La longueur physique du tube optique est légèrement inférieure à la longueur focale d’une lunette (de la lentille au plan focal) ou d’un télescope de type Newton (du miroir primaire au plan focal). Pour ces deux tubes optiques, nous allons considérer la longueur focale du tube, car il comprend le système de mise au point (MAP) qui est aussi sensible aux changements de température (la plupart du temps, il est en aluminium). Pour les télescopes de type Schmidt-Cassegrain, concernant le système de MAP, il y a deux passages de la lumière dans le tube optique pour atteindre le plan focal. Voici une image expliquant visuellement cet énoncé :
Dans l’image ci-dessus, la lumière passe du miroir primaire au miroir secondaire et du miroir secondaire au plan focal. Donc, aux fins de simplification des calculs, nous allons doubler la longueur physique du tube, considérant que ce calcul simple sera un peu plus long que la longueur effective du miroir primaire au plan focal en passant par le miroir secondaire.
Formule :
D=0,023/1000*LP
D = Dilatation ou contraction du tube d’aluminium en mm par degré Celsius
LP = Longueur physique du tube en mm
Il est à noter que pour les tubes en fibre de carbone, la dilatation ou contraction du tube est presque nulle.
2- La tolérance de mise au point (MAP)
Voici la formule sur la tolérance de mise au point :
T = ± 8 x (F/D)² x LO x FLO
T = Tolérance de MAP en mm
F = Longueur focale du télescope ou de la lunette en mm
D = Diamètre du télescope ou de la lunette en mm
LO = Longueur d’onde en mm
FLO = Fraction de longueur d’onde acceptée
La tolérance de MAP pour les planètes ou la photographie en haute résolution
Pour une longueur d’onde moyenne de 0,0006 mm (0,6 micron), il faut une fraction de longueur d’onde de 1/8 et moins pour la photographie en haute résolution. Pour un télescope de focal (F/D) de 6, la tolérance de MAP est donc :
8 x (62) x 0,0006 mm x (1/8) = ± 0,0216 mm
Cela signifie qu’à partir d’une MAP parfaite, la tolérance de MAP est de 0,0216 mm avant ou après ce point central.
La tolérance de MAP pour le ciel profond
Dû à la turbulence de l’air et des changements de température lors de la photographie longue pose, la tolérance de MAP résultante est au moins le double de celle présentée pour la photographie des planètes.
Voici donc un tableau présentant la tolérance de MAP en mm pour différentes focales :
Focale (F/D) | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 8 | 10 |
Tolérance MAP | |||||||
± mm planètes | 0,0024 | 0,0054 | 0,0096 | 0,0150 | 0,0216 | 0,0384 | 0,0600 |
Ciel profond | 0,0048 | 0,0108 | 0,0192 | 0,0300 | 0,0432 | 0,0768 | 0,1200 |
On constate sur ce tableau que la tolérance de MAP est plus grande à f/10 qu’à f/2 par exemple (25 fois plus grande !). Cela est dû à la profondeur de champ (ou la zone de netteté) qui est plus grande dans une focale fermée (f/10) par rapport à une plus grande ouverture focale (f/2).
Impact du changement de température sur la MAP
Voici un tableau présentant l’impact de la variation de la température, pour différents télescopes ou lunettes en aluminium populaires, sur la qualité de MAP :
Explication des colonnes :
A, B et C | Précision espérée en +/- de la MAP en mm sur une session longue pose en tenant compte de la turbulence de l’air et des changements de température. |
D | Représente la dilatation ou contraction du tube en aluminium (mm) pour chaque variation de température de 1o Celsius. Voir la formule ci-dessus. |
A/D | En divisant la colonne A par la colonne D, on obtient le maximum de variation de température pour une bonne turbulence de l’air (0,4“ à 0,9“ d’arc). |
B/D | En divisant la colonne B par la colonne D, on obtient le maximum de variation de température pour une turbulence de l’air moyenne (1“ à 2,5“ d’arc). |
C/D | En divisant la colonne C par la colonne D, on obtient le maximum de variation de température pour une turbulence de l’air pauvre (3“ à 4“ d’arc). |
Impact du changement de température sur la MAP (sauf pour l’HyperStar) :
- Pour conserver une très bonne MAP (demande une bonne turbulence de l’air), la variation de la température maximum est de 1,3o C à 6o C dépendant du tube optique.
- Pour conserver une bonne MAP (turbulence moyenne), la variation de la température maximum est de 2,6o C à 12,1o C dépendant du tube optique.
- Pour conserver une MAP acceptable (turbulence pauvre), la variation de la température maximum est de 5,2o C à 24,2o C dépendant du tube optique.
- Sans aller dans tous ces détails, on peut donc mentionner qu’une variation générale de température allant jusqu’à 5o C permettra de conserver une bonne MAP correspondant à une turbulence de l’air moyenne (1 » à 2,5 » d’arc) pour les télescopes de focale f/6 et plus (f/7… f/10).
- Pour la photographie en HyperStar (aussi nommé Fastart), les contraintes de MAP sont trop grandes pour obtenir une mise au foyer acceptable. Comme les images produites avec ce système sont en très grand champ de vision, que le temps d’exposition par photo est très court (60 secondes comparé à 10 minutes à f/6,3) et donc beaucoup moins affectées par les variations de température, il n’y aura pas un impact visuel important causé par cette MAP médiocre. L’image résultante pourra se comparer avantageusement à celle produite avec une focale plus petite (f/5 dans l’exemple).
Conclusions
Pour respecter les écarts indiqués dans le tableau de l’impact du changement de température sur la MAP, il est important d’effectuer une mise au foyer très précise (pour bénéficier des écarts en +/-). Je vous recommande d’utiliser la méthode logicielle (Max pixel et FWHM) ou celle avec le masque de Bahtinov qui élimine les variations dues à la turbulence de l’air. Tous les détails ici.
Pour les tubes en fibre de carbone, il n’est pas utile de consulter le tableau de l’impact du changement de température sur la MAP, car la dilatation d’un tube en fibre de carbone est presque nulle (seule la variation de température du système de MAP devra être considérée et il aura un impact non significatif). C’est donc un élément important à considérer lors de l’achat de son instrument optique.
Par contre, pour les tubes en aluminium, il est très intéressant de consulter le tableau. Par exemple pour mon télescope Edge HD 800 avec réducteur de focale, qui est présenté dans le tableau au rapport F/D 6,3, une variation de température jusqu’à 4,8o Celsius procurera une bonne MAP et sera adapté pour la majorité des nuits (turbulence moyenne). Considérant qu’il est rare que le changement de température, au cours d’une session d’imagerie, dépasse 5o Celsius, je n’aurai pas à refaire souvent la MAP. Aussi, le télescope au rapport F/D 10 est le moins sensible aux variations de température ; information intéressante à connaître.
On remarque, dans le tableau, que les télescopes ou lunettes en aluminium au rapport F/D ouvert (f/5 et plus c.-à-d. f/4, f/2) sont très sensibles aux changements de températures. Cela s’explique par la profondeur de champ qui est moindre pour ces tubes optiques. En effectuant une mise au foyer manuelle, il sera difficile de conserver une bonne MAP adaptée pour la majorité des nuits avec une turbulence moyenne. La plupart du temps, on obtiendra une MAP acceptable. Pour conserver une très bonne à bonne MAP, il faudrait refaire régulièrement une mise au foyer durant la session, ce qui représente une tâche ardue. Une solution est d’automatiser la MAP. Pour les détails sur le matériel à utiliser ainsi qu’une estimation des coûts, voir la Mise au foyer de la caméra CCD et aller à la section Automatiser la mise au foyer. Bien entendu, une autre solution plus simple et moins coûteuse est d’utiliser un tube en fibre de carbone pour ces instruments ouverts.
Si votre tube optique en aluminium n’est pas présenté dans le tableau, je vous recommande de prendre le temps d’effectuer vos propres calculs. Cela vous permettra de mieux connaître la sensibilité de votre instrument optique aux changements de températures. Pour la longueur physique de votre tube, utiliser un ruban à mesurer pour établir la longueur physique du tube incluant votre système de mise au point. Si votre tube est de type Schmidt-Cassegrain, n’oubliez pas de doubler la longueur physique du tube (voir explication ci-dessus).
Tous ces calculs théoriques permettent d’estimer l’impact du changement de température sur la mise au foyer pour les tubes en aluminium. Dans la réalité, il y a plusieurs autres facteurs qui influent sur la qualité de MAP (la collimation, la précision de la monture en autoguidage, la dilatation des lentilles ou miroirs, la mise en température de l’équipement…). Il faut donc valider le tout en situation réelle avec son propre équipement. Lors d’un changement de température de plus de 5o Celsius, comparer la dernière image prise avec la première. Cette évaluation vous permettra de juger la pertinence d’effectuer une nouvelle mise au foyer.
Richard Beauregard
Le Ciel Astro-CCD
Pour connaître des méthodes de mise au foyer :
Mise au foyer de la caméra CCD
Références :
http://jalle-astro.fr/wp/la-mise-au-point/
http://www.regnier-schmit.net/faqastrocam/1005/
Richard Beauregard
Le Ciel Astro – CCD
Réviser le 2021/11/03